Réception des représentants de l’Institut de Projection Extérieure de la Culture Catalane par le Maire et le conseil municipal de Tavera

En voulant remercier les Catalans de l’immense intérêt qu’ils portent à la Corse dont la venue des membres de l’IPECC est une preuve, je me suis demandée pourquoi les Corses jouissent-ils d’un tel prestige en Catalogne qui est pourtant une région phare en Europe méditerranéenne? Barcelone est, en effet, une métropole internationale et la capitale économique et culturelle de l’Europe du Sud. C’est d’ailleurs en 2005 que sera organisé à Barcelone le forum mondial des peuples et des cultures.

Il faut savoir que le prestige des Corses à l’étranger est immense. Ils ne sont pas considérés comme des agitateurs, mais comme une communauté vivante qui veut maintenir telle quelle. Les Catalans sont eux-mêmes une minorité culturelle -11M- au sein de l’Espagne et ils portent une attention bienveillante à toutes les différences culturelles.

Mais ce n’est pas tout. Les Catalans ont conservé une vraie mentalité de Méditerranéens et s’il respectent Madrid, ils n’ont pas toujours le regard tourné vers Madrid comme ils n’ont jamais voulu établir avec l’Espagne un rapport économique et culturel exclusif. Cela signifie qu’ils sont naturellement très tournés vers les autres cultures, vers l’extérieur, vers la culture marchande et le commerce international; cela étant incontestablement un des traits dominants de la mentalité méditerranéenne. Les Catalans se projettent partout: dans les pays d’Amérique latine, dans les pays Anglo-Saxons, sont multilingues. Pourriez-vous imaginer d’avoir un Institut de projection extérieure de la culture corse? Évidemment pas, car nous ne savons même plus ce que nous mettons dans le mot culture.

Mais il y a une deuxième explication et c’est sans doute l’essentielle: c’est aussi parce qu’ils ont conservé leur identité culturelle, le sens de leur propre histoire, de leurs traditions économiques, culturelles et familiales. La famille est l’unité sacrée de la Catalogne, comme cela était le cas en Corse il y 100 ans. Concernant leur langue, je dirai que le Catalan est la langue officielle et que tous les actes administratifs et réglementaires sont écrits en Catalan. Le catalan est également la langue de l’économie interne et est très utilisée dans le commerce. Ce faisant, les Catalans sont restés eux-mêmes, sans pour autant mettre en danger la République espagnole. Ce pays est un modèle de tolérance et de créativité intellectuelle et économique.

Il n’en a pas été de mêmes pour nous autres Corses, car on a pensé à tort que les petits peuples n’avaient pas d’Histoire, ou qu’ils n’étaient que des faiseurs histoires pour compliquer la vie des plus grands. C’est pourquoi, vous recevant dans notre village, nous ne sommes que peu en mesure de vous en expliquer l’Histoire, elle même reliée à l’Histoire de la Corse. Nous ne savons que très peu de choses, sinon qu’il aurait été fondé au XV siècle par les frères et sœurs d’un cardinal Tavera de Tolède. Je ne suis pas mesure de vous en dire plus. Pendant 100 ans, peu nombreuses étaient les personnes de cette vallée de la Gravona qui se sont intéressées à l’Histoire de la Corse. Quelques familles très anciennes, mais minoritaires, ont voulu maintenir le flambeau de la corsitude.

Puis il y a eu la création de l’Université de Corse. Mais il a fallu se battre pour avoir une université. Savez-vous que la première revendication remonte à 1920; enseignement bilingue; français + italien + corse et enseignement obligatoire de l’Histoire de la Corse et de la civilisation méditerranéenne. Paradoxalement cette Sardaigne que l’on a tant dénigrée, compte en 1920 trois universités. En Corse, la première revendication d’un musée d’ethnologie remonte à la fin du siècle dernier, il faudra attendre un siècle pour voir sa réalisation.

Tout cela nous paraît aujourd’hui regrettable; car une bonne partie de la mémoire de notre peuple repose dans les cimetières. De notre identité peu de choses ont été transmises et, à un moment où la quête du lien de l’homme avec ses racines est de plus en plus forte, nous ressentons tous un grand vide.

Parmi les injustices faites à la Corse, la plus criante fut sans doute de vouloir lui supprimer sa langue, son Histoire et sa culture. Mais les temps changent et il n’est peut être pas trop tard pour reconstruire les chaînons manquants à notre identité. L’impérieux besoin qu’ont tous les hommes de notre époque de retrouver leur mémoire culturelle, nous permettra sans doute de découvrir le passé que les peuples méditerranéens ont en commun.

La Corse fut aragonaise et ce sont les emblèmes d’Aragon qui ornent notre drapeau. Ensemble aussi nous avons à re découvrir que nous appartenons à la même civilisation: celle du Mare Magnum et que, ce faisant, nous sommes en même temps des Méditerranéens et sans doute, depuis l’Empire Romain les premiers Européens.

Les Taverais ont beaucoup à apprendre de votre visite et c’est une des raisons pour laquelle je l’ai souhaitée. D’abord parce qu’elle nous permet de renouer avec nos traditions d’ouverture sur le monde méditerranéen; de comprendre d’autres cultures, d’autres comportements comme vous savez si bien le faire. Mais aussi parce que nous sommes dans un contexte politique modifié. L’Europe veut se construire à partir de ses différences et de sa diversité culturelle. Les hommes ne sont pas faits pour se ressembler tous, mais pour se comprendre en étant égaux et différents. Et aujourd’hui plus que jamais les Corses ont besoin d’être compris et respectés.

Nous sommes dans une situation historique opposée à celle de la fin du siècle dernier ou toute différence dérangeait. Dans l’Union européenne, c’est l’histoire des petits peuples, la mémoire et donc l’identité qui est prise en compte et plus nous affirmerons notre identité culturelle, plus nous aurons de chance de devenir des citoyens européens.

Le meilleur atout de la Corse ce n’est pas la beauté de ses plages ou de ses sites; non c’est son identité culturelle. Parce que c’est cela qui va lui donner la force de bâtir sur la culture et l’intelligence un vrai destin. C’est cela qui lui évitera aussi de devenir une zone de consommation banale, réservée aux touristes, comme la côte -d’Azur ou l’Andalousie.

Cette Europe elle est aussi fondée sur la culture de l’échange, de la communication, du brassage, de la circulation des hommes et des idées, par delà les frontières nationales. Il faut donc considérer cette visite que vous nous rendez en Corse et ce moment de partage à Tavera comme un acte qui fait l’Europe; par sa base, par le dialogue entre les hommes et les cultures.

Catalina Maroselli-Matteoli
(ANNEX a la memòria de Còrsega)